GEOPOLITIQUE DE JERUSALEM

Auteur  : Prof. Bichara Khader

La reproduction de cet article est en mémoire de mon ami ‘Dr. Khalid Ab-del Rahim’ dont la maison ancestrale  (Al-Rahim House) est aujourd'hui l'Ambassade de France à Tel-  Aviv.

« Jérusalem n’est pas une colonie… nous avons le droit de nous installer dans une ville que nous avons construite il y a 3000 ans », et qui restera la  » capitale éternelle du peuple juif » déclare the Premier Ministre d'Israel..

La vérité historique : Ce ne sont pas les juifs qui ont construit Jérusalem. Les archéologues situent la construction d’une ville fortifiée sur l’emplacement actuel de Jérusalem. Elle s’appelait  Uru-salem, ou ville de la paix. Une population essentiellement cananéenne y habitait, assimilant, au gré des invasions, d’autres peuples semi-nomades dont les Amorites de l’Est, les Hittites du Nord et les Philistins de la côte méditerranéenne. La plaine côtière méditerranéenne (où s’est établi l’Etat d’Israël), fut dans l’Antiquité  le pays non pas des Hébreux, mais de leurs adversaires, les Philistins d’où vient le nom de Palestine » (Hérodote,no.130, 2008,p.32). Pour ce qui est de Jérusalem,  la Bible  nous enseigne que le Roi David a conquis la ville, ce qui signifie qu’elle préexistait à l’arrivée des juifs en Palestine, il y a 3000 ans. A  cette époque, les Amalécites habitent la contrée du midi, les Jébusiens et les Amoréens habitent la montagne et les Cananéens habitent près de la mer et le long du Jourdain. Les Jébusiens étaient les habitants de Jerusalem

Il est clair, que les juifs sont attachés à Jérusalem, mais le sont-ils davantage que les chrétiens qui y vénèrent le tombeau du Christ et qui considèrent Jérusalem comme l’épicentre du mystère du salut?  Ou les musulmans pour lesquels Jérusalem est la troisième ville sainte après la Mecque et la Médine ?

Le caractère original de Jérusalem, pour les trois religions monothéistes lui confère un cachet particulier,  presque sacré. Avec pour corollaire, tous les dangers qui découlent de la tentation d’utilisation idéologique et géopolitique de cette sacralisation.

Les Croisés ont débarqué en Palestine en 1099, sous la bannière de Godefroid de Bouillon. Ils y ont créé un  » Royaume Latin ». Mais le Royaume Latin est démantelé, en  1187, par l’armée de Saladin, après  une bataille célèbre, qui a eu lieu à Hittin en Palestine. Pour laver l’affront subi par la chrétienté occidentale, le Pape appelle à la troisième  croisade à la quelle participe le Roi de France, Philippe Auguste, l’Empereur Germanique, Frédéric  1er Barberousse, et Richard Cœur de Lion d’Angleterre. Arrivé sur la côte palestinienne, vers 1188, Richard Cœur de Lion envoie un  message à Saladin, dans lequel il lui dit :  » S’agissant de Jérusalem, c’est notre lieu de culte, et nous n’accepterons jamais d’y renoncer, même si nous devions nous battre jusqu’au dernier ». La réponse de Saladin est tout en finesse : » La ville sainte est autant à nous qu’à vous : elle est même plus importante pour  nous, car c’est vers elle que notre prophète a accompli son miraculeux voyage nocturne, et c’est là, que notre communauté sera réunie le jour du jugement dernier : il est exclu pour nous que nous l’abandonnions : jamais les musulmans ne l’admettraient ».

Au vu de l’actualité brûlante de Jérusalem, cet échange qui a eu lieu il  y a plus de 8 siècles entre un roi chrétien et un sultan fatimide, est une source de méditation.  On retrouve aujourd’hui, les deux discours : celui d’Israël qui clame  » Jérusalem est notre capitale éternelle », et celui des Palestiniens qui revendiquent un lit pour deux rêves, Jérusalem : une ville et deux capitales. C’est ce que  réclame, d’ailleurs,  la Communauté internationale, qui n’a jamais avalisé l’annexion unilatérale de Jérusalem par Israël et qui considère la colonisation juive à Jérusalem  comme  » contraire au droit international ».

Par la colonisation des quartiers palestiniens de Jérusalem, par le retrait des cartes de résidence à des milliers de ses habitants  arabes, par la multiplication des colonies qui ceinturent la vieille ville et par le mur qui éventre les terroirs palestiniens environnants, le gouvernement israélien tente de tuer dans l’œuf toute perspective de paix, dans la mesure où, sans Jérusalem, il n’y aura pas d’Etat palestinien.

Car Jérusalem est « la madre del cordero », comme disent les espagnols : c’est  le nœud gordien des négociations à venir. Sa centralité symbolique dans les trois traditions abrahamiques lui confère une résonance, une projection extérieure, et importance qui dépasse de loin son périmètre géographique.  Il serait erroné, voire dangereux, de confisquer Abraham et de se l’approprier, ou d’invoquer une quelconque antériorité historique d’une religion pour justifier un contrôle exclusif sur la ville. Reconnaitre cela c’est  déjà contribuer à édifier la paix à venir. Pour l’heure malheureusement, l’histoire de Jérusalem s’apparente à une gigantesque carrière où Israël extrait les pierres de la construction de ses propres mythes. Ce faisant, Israël perd le sens des réalités objectives et, pire encore, le sens éthique et moral.

Israël peut construire à  Jérusalem et les autres territoires occupés, et appeler cela  » le retour à la terre promise ». Mais tant que son rêve est le cauchemar des palestiniens  il dormira sur un lit d’épines, et ses nuits seront peuplées de remords.

 

Add new comment