L’EVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES

L’évaluation d’une politique publique a pour objet d’apprécier l’efficacité de cette politique en comparant ses résultats aux objectifs assignés et aux moyens mis en œuvre . Plus précisément, il s’agit de viser à la fois à mieux connaître et comprendre son fonctionnement réel et ses résultats, à rendre compte à l’opinion publique et aux parties prenantes (bénéficiaires, acteurs,...) de cette action publique en référence aux objectifs fixés par les autorités publiques concernées, et à chercher en conséquence les moyens de l’améliorer par des recommandations. L’évaluation permet ainsi d’informer les citoyens dans le cadre d’un débat public et pluraliste, de redonner du sens à l’action politique en la fondant sur des constats objectifs, et d’obtenir l’adhésion ou au moins la participation des acteurs aux évolutions souhaitables.

Dans son principe, l’évaluation se distingue d’autres activités plus classiques : ce n’est ni du contrôle de régularité de la dépense,  ni de l’audit interne organisationnel, ni une fonction d’inspection générale des services ou, a fortiori, un contrôle juridictionnel tel que celui de la Cour ou des chambres régionales des comptes, qui répondent à d’autres questions. Au lieu d’être orientée vers le contrôle et la sanction, l’évaluation est, pour sa part, une démarche ouverte, de recherche de connaissances, pluraliste, orientée vers le progrès dans l’action, et appuyée en principe sur les acteurs chargés de la mettre en œuvre.

L’évaluation se fonde sur des instruments de mesure souvent quantitatifs, comme les résultats bruts ou nets de la politique considérée, le bilan coûts-avantages, l’impact sur des variables économiques (PIB, emploi, croissance,…) ou sociales (inégalités, santé, chômage,...). L’évaluation est une démarche qui peut exiger du temps lorsqu’elle est réalisée a posteriori, car les effets des politiques publiques peuvent eux-mêmes être longs à apparaître et à se stabiliser.

Pour chaque politique analysée, l’évaluation pose en général plusieurs questions :

  1. la pertinence et la cohérence des enjeux et des objectifs initiaux, au niveau politique, ainsi que le réexamen des modèles de référence qui ont fondé les choix de départ ;
  2. les difficultés liées à la mise en œuvre des orientations retenues, les moyens mobilisés (humains, financiers, techniques,...) au regard de ceux qui apparaissent effectivement nécessaires pour atteindre les objectifs fixés ;
  3. la mesure de l’efficacité. Il peut s’agir de l’efficacité directe brute : par exemple, pour une politique de lutte contre le chômage, la baisse du nombre de chômeurs dans le temps. Il peut également s’agir de la mesure des effets indirects, tels que l’effet de la même politique sur le taux d’emploi d’une catégorie d’âge, ou encore d’un impact systémique de plus longue période, incluant effets induits et effets pervers (par exemple l’effet sur l’immigration de l’évolution du taux d’activité) ;
  4. outre la mesure de l’efficacité, la démarche d’évaluation doit analyser et si possible déterminer les relations de cause à effet pour faire la part des différents paramètres, entre ceux résultant de la politique menée, ceux issus du contexte national ou international. 
  5. vient ensuite l’analyse de la performance, ou efficience, (parfois sous le terme de productivité, pour les services publics), qui se réfère cette fois au coût des dispositifs, c’est-à- dire l’appréciation de son rapport résultat/coût ; il faut alors notamment tenir compte des effets d’aubaine ;
  6. la satisfaction des bénéficiaires, des utilisateurs, des « administrés » peut, selon la nature de la politique considérée, mériter d’être également analysée, par exemple par des sondages, des interviews de groupes témoins.

La multiplicité des axes d’investigation exige que l’évaluation d’une politique publique soit souvent pluridisciplinaire, si elle ne se limite pas à la seule mesure de la performance ; elle impliquera souvent des approches quantitatives, de modélisation économétriques plus ou moins sophistiquées, et des démarches plus proches de l’analyse sociologique administrative, voire de la sociologie au sens le plus large.

Remarques

1. Ce qui compte en politique ce n’est pas le moment de la décision, c’est le processus, si possible partenarial et participatif, par lequel cette décision a fini non pas par  'être prise' mais par 'se prendre' . Plus une situation est  complexe, plus le nombre d’acteurs est nombreux et moins l’hypothèse centrale de la politique, à savoir que les responsables doivent choisir entre plusieurs solutions alternatives, a de sens. L’objectif n’est pas de choisir une bonne politique parmi cinq ou six qui se présenteraient mais de parvenir, par le dialogue et par un cheminement qui peut être lent, à une politique satisfaisante. Dans cette évolution, le rôle du politique change profondément. Dans le meilleur des cas, la fonction politique se transfère en amont de la décision et devient l’organisation d’un processus de coconstruction d’une solution satisfaisante. Mais on peut aussi imaginer que ce processus d’élaboration partenariale d’une solution satisfaisante soit assumé par d’autres acteurs que les acteurs politiques traditionnels, auquel cas ceux-ci ont plutôt une fonction notariale : acter que le processus a effectivement abouti à une solution satisfaisante et décider de la mettre en oeuvre.

2.Le problème du politique n’est pas de mener des actions dont l’impact soit aisément évaluable mais des actions qui soient pertinentes, c’est-à-dire se révèlent, compte tenu des moyens et de l’information disponibles, les plus utiles à la société. Ce n’est pas qu’une nuance. Dans le premier cas on cherche à évaluer un impact, dans le second une pertinence. Chercher à évaluer la pertinence d’une action est une démarche tout aussi exigeante et bien plus scientifique que de chercher à mesurer des impacts.

3.Ce qui compte dans l’évaluation des politiques publiques, c’est les inflexions que l’on est en mesure de leur donner. Dans un système complexe, qui se prête plus à la stratégie qu’à la planification, la pertinence de l’action publique est fondamentalement liée aux degrés de liberté accordés aux différents acteurs et à la capacité de chacun d’entre eux à participer à des apprentissages individuels et collectifs qui augmenteront ses compétences. On le voit dans tous les problèmes d’ordre coopératif, où l’on ne peut atteindre de résultat probant que par la coopération des différents acteurs. Cette coopération n’est pas le fruit d’une décision ponctuelle de nature politique mais d’un long apprentissage. Dès lors, se priver de l’implication des acteurs, de tous les acteurs, dans l’évaluation d’une politique c’est les priver de l’essentiel de ce que l’on attend précisément de cette évaluation : un surcroît de compétence de chacun d’eux!

4.Pour constituer la société dans son ensemble et chacune de ses organisations en particulier comme autant de systèmes apprenants, il faut admettre qu’il n’y a pas d’un côté des responsables politiques détenteurs de sens et de l’autre des administrateurs dont on attendrait seulement de la loyauté à l’égard des décisions prises. C’est ce type de modèle mental qui a donné naissance à la technocratie, c’est-à-dire à un pouvoir de l’administration qui ne cesse de se dissimuler, y compris parfois à ses propres yeux, parce que ce pouvoir n’est pas jugé « légitime » . Un acteur n’est en mesure d’évoluer que s’il se sent partie prenante du sens même de l’action et cela vaut non seulement pour l’administration prise dans son ensemble mais pour chaque fonctionnaire pris en particulier. Et quelle meilleure manière de faire en sorte qu’il soit partie prenante au sens que d’en faire un acteur central de l’évaluation !

 

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