DE GAULLE ET L’EUROPE DES PEUPLES ET DES ETATS

Charles de Gaulle veut construire l'« Europe des peuples et des États », c'est-à-dire une construction européenne conforme au double postulat de réalisme et de démocratie.

Le postulat démocratique, tout d'abord, signifie pour Charles de Gaulle de baser la construction européenne sur l'acceptation des peuples, au-delà de la seule volonté des dirigeants politiques. Charles de Gaulle préconise donc la tenue de référendums:

"Cette Europe prendra naissance si ses peuples, dans leur profondeur, décident d'y adhérer. Il ne suffira pas que des parlements votent une ratification. Il faudra des référendums populaires."

"L'organisation de l'Europe est une chose énorme, extrêmement difficile et qui, à mon sens, implique un acte de foi populaire. Les institutions de l'Europe doivent naître des Européens, c'est-à-dire d'une manifestation démocratique, par le suffrage universel, des citoyens de l'Europe. Il faut poser à ces citoyens trois questions :
-         «Voulez-vous qu'on fasse l'unité de l'Europe, notamment au point de vue de son économie, de sa culture et de sa défense ?»
-         «Voulez-vous que l'on constitue un organe confédératif des peuples de l'Europe pour gérer cette unité ?»
-         «Pour élaborer les institutions européennes, voulez-vous nommer une Assemblée ?»

Je suis convaincu que, si l'on posait aux peuples ces trois questions, on en tirerait deux avantages immenses. (…) Le deuxième serait qu'on pourrait voir quels peuples veulent et quels peuples ne veulent pas. Alors, on saurait à quoi s'en tenir et l'on pourrait commencer."

"Mais, à cette confédération, on doit donner une base populaire et démocratique. Ce sont les peuples qui ont à la créer. Encore faut-il le leur demander. La première étape doit être un vaste référendum, organisé simultanément dans tous les pays intéressés. Il y aura là, au surplus, une grande force pour appuyer ceux qui veulent la communauté et une affirmation puissante vis-à-vis des États totalitaires au-delà du rideau de fer."

"Cela comporte un concert régulier organisé des Gouvernements responsables et puis, aussi, le travail d'organismes spécialisés dans chacun des domaines communs, organismes subordonnés aux gouvernements ; cela comporte la délibération périodique d'une assemblée qui soit formée par les délégués des parlements nationaux et, à mon sens, cela doit comporter, le plus tôt possible, un solennel référendum européen, de manière à donner à ce démarrage de l'Europe le caractère d'adhésion et de conviction populaire qui lui est indispensable."

 Le postulat réaliste, ensuite, signifie pour Charles de Gaulle de baser la construction européenne sur des réalités (« l'Europe des réalités »), c'est-à-dire  sur les États :

"Pour pouvoir aboutir à des solutions valables, il faut tenir compte de la réalité. La politique n'est rien d'autre que l'art des réalités. Or, la réalité, c'est qu'actuellement l'Europe se compose de nations. C'est à partir de ces nations qu'il faut organiser l'Europe et, s'il y a lieu, de la défendre. Au lieu d'une fusion intolérable et impraticable, pratiquons l'association. En poursuivant des chimères, on a déjà perdu des années.

"(…) Il faut procéder non pas suivant des rêves, mais d'après des réalités. Or, quelles sont les réalités de l'Europe ? Quels sont les piliers sur lesquels on peut bâtir l'Europe ? En vérité, ce sont des États qui sont, certes, très différents les uns des autres, qui ont chacun son âme à soi, son Histoire à soi, sa langue à soi, ses malheurs, ses gloires, ses ambitions à soi, mais des États qui sont les seules entités qui aient le droit d'ordonner et l'autorité pour agir Se figurer qu'on peut bâtir quelque chose qui soit efficace pour l'action et qui soit approuvé par les peuples en dehors et au-dessus des États, c'est une chimère."

"(…) Je n'ai jamais, quant à moi, dans aucune de mes déclarations, parlé de « l'Europe des patries », bien qu'on prétende toujours que je l'ai fait. Ce n'est pas, bien sûr, que je renie, moi, la mienne ; bien au contraire, je lui suis attaché plus que jamais et je ne crois pas que l'Europe puisse avoir aucune réalité vivante si elle ne comporte pas la France avec ses Français, l'Allemagne avec ses Allemands, l'Italie avec ses Italiens, etc. Dante, Gœthe, Chateaubriand, appartiennent à toute l'Europe dans la mesure même où ils étaient respectivement Italien, Allemand et Français. Ils n'auraient pas beaucoup servi l'Europe s'ils avaient été des apatrides et s'ils avaient pensé, écrit en quelque « espéranto » ou « volapük » intégré…

Mais, il est vrai que la patrie est un élément humain, sentimental, alors que c'est sur des éléments d'action, d'autorité, de responsabilité qu'on peut construire l'Europe. Quels éléments ? Eh bien, les États ! Car il n'y a que les États qui soient à cet égard valables, légitimes et capables de réaliser. J'ai déjà dit et je répète, qu'à l'heure qu'il est, il ne peut y avoir d'autre Europe que celle des États, en dehors naturellement des mythes, des fictions, des parades. Ce qui se passe pour la Communauté économique, le prouve tous les jours, car ce sont les États, et les États seulement, qui ont créé cette Communauté économique, qui l'ont pourvue de crédits, qui l'ont dotée de fonctionnaires. Et ce sont les États qui lui donnent une réalité et une efficacité, d'autant plus qu'on ne peut prendre aucune mesure économique important sans commettre un acte politique."

"Alors, il faut prendre les choses comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur les réalités. Bien entendu on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « l'Europe ! », « l'Europe ! », « l'Europe ! »  mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien. Je répète : il faut prendre les choses comme elles sont. (…) Alors, vous en avez qui crient : « Mais l'Europe, l'Europe supranationale ! Il n'y a qu'à mettre tout cela ensemble, il n'y a qu'à fondre tout cela ensemble, les Français avec les Allemands, les Italiens avec les Anglais, etc. » Oui, vous savez, c'est commode et quelquefois c'est assez séduisant, on va sur des chimères, on va sur des mythes mais ce ne sont que des chimères et des mythes. Mais il y a les réalités, et les réalités ne se traitent pas comme cela. Les réalités se traitent à partir d'elles-mêmes."

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