FRANCE : L’EUROPE, ENTRE L’ELYSEE ET MATIGNON

La question de la coordination entre le Président de la République et le Premier Ministre sur les questions européennes est inhérente à la Vème République. La diplomatie et donc l’Europe font partie du « domaine réservé » du Président de la République, à qui l’article 5 de la Constitution de 1958 confie le rôle de « gardien des traités ». Mais les sujets européens sont aujourd’hui devenus de véritables sujets de politique intérieure, qui doivent être traités au niveau interministériel, et arbitrés par le Premier ministre. L’évolution du fonctionnement de l’Union européenne au cours des dernières années n’a fait qu’accentuer cette dyarchie. En effet, le Conseil européen, composé des chefs d’État ou de gouvernement des États membres, joue depuis quelques années un rôle de plus en plus important au sein du processus décisionnel européen. En France, c’est le chef de l’État, et non pas le gouvernement, qui est présent au Conseil européen.

Les partenaires européens ont des difficultés à comprendre quels sont leurs interlocuteurs en France. Doivent-ils appeler le cabinet du Président de la République, celui de Matignon, et encore le Secrétaire Général des Affaires Européennes ?

Il conviendrait de créer un « Conseil stratégique sur l’Europe ». Ce Conseil réunirait autour du Président de la République, le Premier ministre, le Ministre des Affaires Etrangères, le Ministre de l’Economie et des Finances, le Ministre en charge des affaires européennes et tout autre ministre intéressé par l’ordre du jour, ainsi que le Secrétaire Général des Affaires Européennes et le représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne. Ce Conseil stratégique sur l’Europe aurait pour mission d’examiner les principaux sujets européens prévisibles à moyen terme et relevant in fine de la compétence du Conseil européen, de mandater l’administration afin de procéder à leur analyse et d’arrêter ensuite les priorités politiques essentielles. Le secrétariat de ce Conseil serait assuré par le SGAE.

Le rôle du Ministre des Affaires Européennes

Le statut du Ministre des Affaires Européennes dans le dispositif gouvernemental n’est pas sans poser question. Son positionnement, tout d’abord, par rapport au Premier ministre et au Ministre des Affaires Etrangères, est complexe. Traditionnellement placé sous l’autorité du Ministre des Affaires Etrangères, le rôle de la diplomatie française restant encore extrêmement prédominant dans la conduite des affaires européennes, le Ministre des Affaires Européennes ne dispose pas d’une véritable autonomie, ni d’une administration qui lui est dédiée, même s’il peut évidemment s’appuyer sur la direction de l’Union européenne du Quai d’Orsay. Par ailleurs, intervenant par nature dans des domaines interministériels, il n’a pas la main sur le SGAE – sous la tutelle du Premier ministre – ni de l’autorité politique qui lui permettrait de faire les arbitrages nécessaires.

Dès lors, une évolution du statut du Ministre des Affaires Européennes est nécessaire pour permettre l’adaptation des structures gouvernementales à la réalité de l’Union européenne.

Une première option consisterait à faire du Ministre des Affaires Européennes un ministère à part entière, émancipé de la tutelle du Ministre des Affaires Etrangères. Cependant, ce Ministre des Affaires Européennes ne serait pas doté de ses propres services administratifs, puisque les affaires européennes sont aujourd’hui traitées de manière diffuse dans chaque ministère : le rôle de ce Ministre des Affaires Européennes risquerait alors de se limiter à un rôle purement symbolique et d’une faible portée pratique.

Il conviendrait de rattacher le Ministre des Affaires Européennes au Premier ministre. Ce positionnement lui permettrait d’être au cœur de la mécanique interministérielle et de jouir d’une autorité renforcée du fait de sa proximité avec le Premier Ministre. Le Ministre des Affaires Européennes pourrait ainsi présider, au nom du Premier Ministre, les comités interministériels « Europe » qui sont tombés en désuétudes.

En outre, le Ministre des Affaires Européennes pourrait assurer une fonction de porte-parole sur les questions européennes auprès du Président de la République. Il relaierait, ainsi, la parole officielle de la France en Europe et en France.

L’actuelle direction de l’Union européenne du Quai d’Orsay devrait être directement rattachée au Ministre des Affaires Européennes, mais le SGAE, qui doit en tout état de cause bénéficier d’une légitimité politique suffisante pour réaliser les arbitrages politiques nécessaires, face à des ministres ou des administrations parfois très puissantes, pourrait rester rattacher au Premier Ministre.

Le principal obstacle à l’influence de la France en Europe aujourd’hui, c’est la façon dont l’Europe est traitée dans le débat politique national. L’Europe est insuffisamment prise en compte par les partis politiques nationaux, sauf lorsqu’il s’agit d’en faire un bouc émissaire des problèmes de politique intérieure français.

L’influence française dans l’Union européenne doit être considérée comme une politique publique à part entière, ce qui implique qu’elle soit dotée des ressources humaines et financières nécessaires, portée par le Gouvernement et contrôlée par le Parlement national.

Un plan d’action relatif à l’influence française en Europe a été mis en place par le Gouvernement, sous l’impulsion de Michel Barnier, en novembre 2004. Ce plan d’action comportait douze points :

  1. Anticipation et la préparation en amont des initiatives communautaires ;
  2. Coordination du Gouvernement et de l’administration sur les questions européennes ;
  3. Européanisation de la fonction publique française ;
  4. Suivi des activités du Parlement européen ;
  5. Outils d’influence de la France à Bruxelles ;
  6. Valorisation de la langue française en Europe ;
  7. Prise en compte de l’Europe et des positions françaises sur l’Europe par les médias français et européens ;
  8. Echanges entre les fonctions publiques françaises, communautaires et des autres États membres de l’Union européenne ;
  9. Préparation des concours communautaires et la formation des futurs fonctionnaires européens ;
  10. Amélioration des conditions de mise à disposition des Experts Nationaux Détachés (END) ;
  11. Soutien aux français travaillant dans les institutions communautaires.
  12. Amélioration du suivi de la présence française en Europe.

Certaines mesures de ce plan d’action n’ont jamais été mises en œuvre, ou ne sont désormais plus d’actualité. Il est nécessaire de définir au niveau interministériel un nouveau plan d’action pour l’influence française en Europe, intégrant les propositions issues de ce rapport. La mise en place d’un tel plan d’action, pour être effective, nécessitera des moyens humains et financiers : aujourd’hui, seules deux personnes au SGAE et trois personnes à la représentation permanente sont en charge de la présence française, ce qui est insuffisant.

L’une des attributions principales du Ministre des Affaires Européennes doit être de piloter cette stratégie d’influence et de suivre au plus près les questions de présence française dans les institutions européennes.

Le Président de la République et le Premier Ministre doivent également s’investir sur les questions de présence, en intervenant directement pour soutenir la nomination de français à certains postes clefs, et en rencontrant au moins une fois au moment du quinquennat les Français travaillant au sein des institutions européennes.

Le Parlement national doit prendre sa pleine part dans cette nouvelle stratégie d’influence, tout d’abord, en agissant comme un véritable maillon de l’influence française en Europe. C’est ce que doit faire la Commission des Affaires Européennes de l’Assemblée nationale, en se rendant régulièrement à Bruxelles lors de ses missions d’informations, en organisant des rencontres interparlementaires sur des sujets d’actualité européenne , des visioconférences avec les commissions du Parlement Européen  et des rencontres régulières avec les membres français du Parlement Européen, en répondant aux consultations publiques lancées par la Commission européenne. Le rôle du bureau de représentation de l’Assemblée nationale à Bruxelles pourrait être étoffé. Ainsi, le bureau de représentation du Bundestag, qui constitue une source d’information majeure pour le Parlement, a une composition unique, puisqu’il est composé de quatorze chargés de mission, pour moitié des fonctionnaires du Bundestag (contre un administrateur pour l’Assemblée nationale, comme c’est le cas pour tous les autres États membres) et pour l’autre moitié des représentants des groupes politiques. L’Assemblée nationale pourrait s’inspirer de cette pratique, et les groupes politiques pourraient par exemple nommer des collaborateurs à Bruxelles pour les représenter auprès des institutions.

Considérer l’influence et la présence française en Europe comme une politique publique à part entière, cela signifie que le Parlement doit également mettre en place des outils spécifiques pour contrôler cette politique. Des réunions annuelles devraient être mises en place sur cette question avec le SGAE, permettant au Parlement d’être mieux informé et de participer à la définition des postes prioritaires.

Instaurer une véritable « culture de l’influence »

  1. Permettre aux acteurs français de l’Europe de travailler en réseau et de mieux connaitre le fonctionnement concret des institutions européennes ;
  2. Favoriser le partage d’informations et le travail en commun entre la RP et le SGAE, d’un côté, et la société civile et les acteurs économiques, d’autre part ;
  3. En amont de la négociation des textes les plus importants, mettre en place des groupes de travail ad-hoc réunissant les fonctionnaires en charge de la négociation et de la transposition ou de l’application des textes européens, et les partenaires économiques et sociaux concernés par la proposition de texte ;
  4. Mettre en place au niveau de la Représentation permanente un « Club des collectivités territoriales » ;
  5. Systématiser les réponses du Gouvernement aux consultations publiques de la Commission européenne, et inciter tous les acteurs français concernés à répondre à ces consultations ;
  6. Instaurer un chargé de mission permettant de rapprocher le travail du SGAE et celui du Secrétariat général du Gouvernement ;
  7. Clarifier le positionnement du Secrétaire général des affaires européennes ;
  8. Placer le Ministre des Affaires Européennes sous l’autorité du Premier Ministre plutôt que du Ministre des Affaires Etrangères ;
  9. Créer un « Conseil stratégique sur l’Europe » réunissant autour du Président de la République, le Premier Ministre, le Ministre des Affaires Etrangères, le Ministre de l’Economie et des Finances, le Ministre en charge des affaires européennes et tout autre ministre intéressé par l’ordre du jour;
  10. Faire de l’influence française en Europe une politique publique à part entière;
  11. Instaurer une délégation au sein de la Commission des Affaires Européennes de l’Assemblée nationale en charge de la question de l’influence;
  12. Renforcer le poids de la commission des Affaires européennes à l’Assemblée nationale ! Pas assez de discussion de l’Europe dans l’hémicycle;
  13. Renforcer et mieux faire connaître les régions représentées à Bruxelles.

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